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Radio Antigone

Le tram de Tours, ou l’inexactitude des futurs élus de la métropole

Sorte de serpent de mer, le tramway à Tours n’est pas encore prêt de se développer. Les experts en transport et urbanisme sont formels : un tramway n’est performant que si le réseau est multiple.
Avec une seule ligne, Tours est un peu le parent pauvre des réseaux français : Orléans possède deux lignes, Angers termine la construction de deux nouvelles lignes supplémentaires. Grenoble, ville que Christophe Bouchet pointe comme étant « sale et insécuritaire » (un peu comme Tours, en réalité donc) possède déjà cinq lignes ! Et que dire de Lyon, qui multiplie les lignes avec le succès qui en découle.
Seule Clermont-Ferrand, autre grande ville comparable, n’a qu’une seule ligne (et cet exemple n’est pas anodin).

Le tram de Tours et sa singulière silhouette, le soir de son inauguration, en 2012. (Pinterest)

Les candidats à la mairie de Tours que sont Christophe Bouchet (sortant, centre-droit) et Emmanuel Denis (EELV) sont tous deux favorables à l’extention du réseau tram, même si la sortie de crise liée à la Covid-19 laissera nécessairement des traces dans les comptes de la métropole, en charge des transports.
Cependant, il faut noter que les élus métropolitains, déjà bien peu rapides pour décider quels tracés feront le tram de demain, ne manquent pas d’imagination pour dessiner leurs fantasmes : l’idée d’un tramway sur pneus est clairement sur la table. « Je suis moi-même très partagé. La réflexion est ouverte », annonce Philippe Briand, président de Tours Métropole. Même son de cloche pour Frédéric Augis, en charge des transports. Le maire DVG de La Riche, Wilfried Schwartz directement concerné par la ligne B déclare même : « pourquoi pas les roues ? Si la technologie le permet et s’il est moins coûteux, on pourra avancer plus vite pour les futures branches de Saint-Pierre et Saint-Cyr, mais on conserve le tracé jusqu’à La Riche. 

Pour ces élus politiques, et non experts s’il en est, le tram sur pneus serait plus économique que le tram que nous connaissons. Théoriquement, oui, c’est un fait. Sauf que, à linéaires et longueur de la rame comparables, le tram pneu coûte plus cher en entretien et linéaire, et embarque moins de monde. C’est dommage. Autres pépins majeurs : le tram pneu possède un roulement très particulier, à base de galets dans un rail central… incompatible avec le linéaire actuel. Ce qui entraînera, de facto, un nouveau dépôt de maintenance (l’actuel étant conçu pour recevoir deux lignes, c’est dommage !), et… aucun croisement avec l’actuelle ligne, puisque les deux systèmes ne sont pas adaptables entre eux (en effet, le tram actuel fonctionne en partie avec une alimentation centrale) que ce soit d’un point de vue alimentation, gabarit ou circulation (en effet, il faudrait supprimer le gazon pour que les pneus puissent rouler).

L’ingénieur Alfred Vallamir, sur le réseau social Twitter, apporte ainsi quelques précisions : « Dans une ville où un tram fer existe, le choix d’un tram pneu est d’autant plus stupide !!! 2 lignes, ou plutôt 4 branches comme aimait le présenter le président de la métropole autorise une multitude de schémas d’exploitation. (…) Le matériel est grossièrement le même sur l’ensemble du réseau ce qui permet de les faire passer d’une ligne à l’autre sans problème. Les correspondances sont facilitées puisque les deux lignes peuvent emprunter les mêmes infrastructures. »

Ainsi, il faudrait donc réaménager le linéaire actuel, construire un nouveau dépôt, et… réinventer le constructeur.
Car oui, il y a un autre souci. Le constructeur des rames sur pneus, Translohr, n’existe plus. Racheté par Alstom, la firme n’assure plus que des opérations de maintenance, et non de construction, ce qui ajouterait un montant non négligeable de R&D pour élaborer ces rames.

Et, puisque les bonnes nouvelles n’arrivent pas seules, il ne faut pas omettre les gros soucis de la carrière de ces rames, notamment à Clermont-Ferrand. Fin 2009, une rame fut carbonnisée par un incendie, dû à l’échauffement d’un étrier de frein qui ne s’était pas desserré. Se propageant à la caisse, l’incident révélait des failles dans la conception de l’anneau d’intercirculation et des essieux et surtout la non conformité de certains matériaux aux normes feu-fumée ferroviaires. L’incendie ne faisait heureusement aucun blessé.
En 2011, une rame fut victime d’un déguidage sur un pont, faisant un blessé. C’est au franchissement d’un joint de dilatation que les galets s’arrachaient du rail. Le tram concerné alla manger un muret vers l’extérieur, alors qu’à l’inverse, le bilan aurait pu être extrêmement lourd en tapant contre des poteaux électriques…

Rames de tramway à Clermont-Ferrand. © Radio France – Emmanuel Moreau

Nos confrères de Transport Urbain nous informent, en parallèle, qu’ « après son premier rapport sur l’incendie, le Bureau Enquêtes Accidents livrait un second rapport sur cet accident, mettant en avant les failles dans le système de guidage et la maintenance du matériel. Un audit indépendant était mandaté par l’Etat, confirmant des problèmes de qualité de la maintenance, en partie liée à une conception insuffamment étudiée du dispositif de guidage. »
Le pire dans l’histoire, c’est que les élus clermontois, influencés par le lobby du pneu à la création du tram jadis, ont annoncé en 2016 la fin prochaine de ce système en circulation qui s’avère être trop cher à exploiter et à maintenir en état de circulation, et à ajouter à cela l’incapacité du constructeur à assurer l’approvisionnement des pièces détachées, en parallèle de l’incompatibilité avec le développement du réseau fer (qu’il s’agisse de l’urbain ou du tram-train, objet de fantasmes).

Le tramway sur pneus existe aussi en Ile-de-France, sur deux lignes (qui ne sont évidemment pas connectées, ce qui oblige donc à doubler les infrastructures techniques, avec le coût qui explose), qui ne sont pas adaptées à un usage fort comme il est de coutume par les franciliens, et la RATP n’était même pas d’accord pour utiliser ce matériel, mais les élus d’IDF en ont voulu autrement. Résultat, des rames clairement non adaptées pour la fréquentation, et une fiabilité tout aussi relative qu’à Clermont-Ferrand. Une analyse pertinente et éclairée réalisée également par nos amis de Transport Rail/Paris est à lire ici pour mieux comprendre.

En réalité, ce débat qui s’annonce aussi crissant que les rames de tram en courbe donne déjà le ton : les politiques parlent de tous les sujets, mais sans avoir les clefs idoines pour être pertinents et dans la réalité. Cela n’étonnera personne ici, déjà que Tours détiendra bientôt le record (peu enviable) de temps d’attente pour la réalisation d’une autre ligne de tramway.

Des élus imaginent aussi un tram sans fer, ni roulement… Ce qui, en d’autres termes, se nomme un bus.

Certes en site propre, certes avec une bi-articulation comme ici, le modèle Vanhool Exquicity 24 nommé Mettis à Metz, mais cela reste un bus. Cette solution, déjà connue partiellement à Tours sous le nom de Tempo pour la ligne n°2 de bus, est codifiée en BHNS : Bus à Haut Niveau de Service. Avec les avantages et surtout les inconvénients d’un bus face à un tramway.

Des villes comme Nantes parlent de « BusWay » ou de « Trambus », mais l’usage des mots est pourtant bien précis.
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3 commentaires sur “Le tram de Tours, ou l’inexactitude des futurs élus de la métropole”

  1. Merci pour la citation !
    J’ajouterais la BHNS « tempo » 2 de Tours n’a rien d’une BHNS : pas de priorité au carrefours, voies dédiées sur une partie de l’itinéraire seulement, montée dans les bus comme ailleurs sur le réseau occasionnant un temps de parcours plus long (les montés en heure de pointe à Jean Jaurès peuvent bien durer 3 à 5 minutes) et un matériel à peine plus spacieux qu’un bus articulé classique.

  2. François Lapadu-Hargues

    A l’avenir, bannir les métros et pseudo trams sur pneu !

    Ce sont de fausses bonnes idées maintenues par l’obstination de certains qui ont voulu faire croire que c’était absolument génial. En fait ce n’est que le résultat des pressions du lobby du pneumatique qui cherchait un débouché pour ses produits.

    Le pneu en fait n’apporte absolument rien de plus que le fer, il a même beaucoup d’inconvénients :

    1 Il coûte très cher en énergie car, ce n’est pas moi qui le dit mais Madame Patricia Chardon, assistante du Directeur de la Ligne 4 et responsable de la communication de l’Unité qui l’a écrit sur ce même forum le 03 novembre 2008 (https://www.vous-et-la-ratp.net/ligne/metro/4/suggestion/220,chaleur-trop-importante-sur-l-ensemble-de-la-ligne/#com_2777) :

    « En outre, le roulement sur pneumatiques génère plus de chaleur que le roulement sur rail. Cet apport continu de chaleur en tunnel élève la température. Le nombre très important de trains en circulation sur la ligne 4, très fréquentée par les voyageurs, accroît encore le phénomène. »

    A une époque où la menace du réchauffement climatique devient de plus en plus réelle, développer des matériels sur pneu ne va pas dans le sens d’un développement durable.

    2 Les matériels sont généralement spécifiques, ce qui interdit une saine mise en concurrence. Ceci est particulièrement vrai pour les autobus guidés par rail unique et traction électrique tels que ceux qui sévissent à Nancy, Caen et Clermont-Ferrand, qui ont coûte beaucoup plus cher que ce qui avait été annoncé et pour lesquels, en particulier à Caen, l’unique constructeur préfère payer des indemnités que de construire de nouveaux véhicules.

    3 La décision d’avoir construit de nouvelles lignes telle que la 14 avec du matériel sur pneu pénalise le projet de reprise d’une des branches de la ligne 13 au nord, de la ligne 7 au sud, alors que si la ligne 14 avait été faite en matériel sur fer cette solution de bon sens pourrait être mise en œuvre pour un coût raisonnable.

    4 Pour ce qui concerne les tramways, construire un pseudo tram sur pneu comme cela va être hélas le cas pour “Châtillon Vélizy” rendra incompatible toute possibilité d’extension future sur des voies classiques ainsi que toute possibilité de maillage entre plusieurs lignes de tramway. Même si ce n’est pas à l’ordre du jour, tout développement en ce sens pour l’avenir est définitivement fermé.

    Tous les arguments en faveur du pneu montrent soit la mauvaise foi, soit l’ignorance de ceux qui les avancent, en tout cas une méconnaissance des réalités, un refus d’aller voir ce qui se fait à l’étranger, une arrogance et une obstination bien propre à la culture d’ingénieur propre aux autorités qui ont la main sur les transports en Ile-de-France (RATP mais aussi STIF et SNCF) :

    1 Le pneu accélère et freine plus que le fer ! Les performances du matériel fer sont déjà à ce titre très honorables, surtout s’il est en adhérence totale. Il n’y a pas besoin d’avoir des accélérations et des freinages supérieurs à ce qu’offre le matériel sur fer. Déjà du temps de l’ancien matériel Sprague il arrivait que des personnes chutent et soient accidentées à la suite de freinages brusques. Rappelons que le matériel fer MF67 était au début en adhérence totale et qu’ensuite il est passé à des compositions à deux remorques pour trois motrices par rame

    2 La capacité à gravir des rampes importantes est également un faux argument. Les matériels fer franchissent des rampes importantes contrairement à la rumeur que font courir les vendeurs des solutions sur pneu. Les tramways sur fer, les « electricos » de Lisbonne (ligne 28) gravissent des rampes de 135 millimètres par mètre, sans aucune crémaillère. Les villes de Lausanne, du Havre et de Rouen ont eu, avant leurs suppressions, des lignes de tramway avec des rampes similaires à celles de Lisbonne.

    3 Les autobus guidés par rail unique et traction électrique négocient des courbes de 10 mètres de rayon pour le double pour un tramway classique. Cet argument est-il sérieux ?

    4 Le pseudo tram sur pneu de “Châtillon Vélizy” pourra être moins large qu’un tramway classique, d’où des économies. Spécieux, les constructeurs de tramway offrent sur catalogue des largeurs variable. Alstom sur son site consacré au Citadis propose entre 2.30 et 2.65 m. Les habitants de la future ligne “Châtillon Vélizy” se sont fait “fourguer” un tramway au rabais et on voudrait en faire un argument positif ? De qui se moque-t-on !

  3. Étrange de parler Tram sur pneu en oubliant les TVR de Nancy (toujours en servie, une seule ligne), et de Caen (remplacé dernièrement par un tram fer après 20 ans de circulation).
    Quoi qu’il en soit, Tours n’est pas la ville la moins bien lotie en terme de tramway (il suffit de voir Nancy…).
    Enfin, même si le BHNS reste un bus, les performances sont proches de celles d’un tram. Pour connaître celui de Metz, le fameux Mettis, je peux vous assurer qu’il n’a rien à envier à certains tram. Entre le tram sur pneu de Nancy et le Mettis de Metz, il n’y a pas photo 😁

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